Giovanni Boccati… la transition (Villanovart)

Article initialement publié le 17 février 2008 sur le site disparu Villanov’art

Giovanni Boccati, 1420-vers 1487, La Vierge et l'Enfant sur un trône entre des anges et deux putti, entre 1444 et 1480, tempera et tempera grasse avec glacis d'huile, dorure, Musée Fesch , Ajaccio.
Giovanni Boccati, 1420-vers 1487, La Vierge et l’Enfant sur un trône entre des anges et deux putti, entre 1444 et 1480, tempera et tempera grasse avec glacis d’huile, dorure, Musée Fesch , Ajaccio.

Cet article repose sur l’observation du tableau de Giovanni Boccati conservé au Musée Fesch d’Ajaccio.

Ce tableau est un des maillons importants de l’histoire des techniques picturales en Italie, il se situe entre la manière à tempera stricte et le procédé flamand. La même remarque pourrait s’appliquer à des peintres très proches de Boccati, comme Fra Filippo Lippi, Giovanni Angelo di Antonio, Girolamo di Giovanni et autres, qui adoptèrent tous, peu ou prou, la même technique.

En Italie, au tout début de l’époque d’activité de Boccati, Niccolò Antonio Colantonio vient tout juste d’introduire, d’une façon assez rudimentaire qui ne fit pas école, le procédé flamand qu’il avait appris de Barthelemy van Eyck à Avignon, procédé flamand qui s’installera vraiment dans les décisives années 1470 avec les tableaux d’Antonio Pollaiuolo et d’Antonello da Messina (soit plus de 50 ans après sa mise au point définitive par les Flamands).

Les travaux de Boccati sont un pas au-dessus de la technique mixte de Lluís Borrassà, que nous avons déjà évoquée, et un pas au-dessous du nouveau procédé de peinture à l’huile dit procédé flamand.

Méthode de mise en oeuvre de « La Vierge et l’Enfant » de Boccati :

– l’enduction du bois est mince et a vraisemblablement été faite directement au gesso sottile. Le menuisier a fait un très bon travail, le panneau constitué de plusieurs planches n’a pas bougé, et l’enduit a été minutieusement appliqué dans les règles de l’art car il ne présente quasiment pas de fendillements.

– le dessin est reporté sur le support probablement au poncif et repris à l’encre.

– les parties destinées à être dorées sont délimitées par une gravure dans l’enduit à la pointe à tracer (pour faciliter la pose de l’assiette par le doreur), suivie d’un poinçonnage des lignes de dessin pour faire miroiter la dorure, comme il était d’usage à l’époque.

– la dorure a précédé la mise en peinture car elle est recouverte en plusieurs endroits de glacis de laque de garance.

– les carnations sont soutenues par un dessous uniforme de terre verte à la tempera maigre. Les traits des visages et des mains ont été dessinés par-dessus, procédé typique des usages de la fresque et de l’ancienne manière de tempera. Ces carnations sont peintes à la tempera grasse, elles resteront comme tel et ne seront pas enrichies de glacis à l’huile. L’altération de ces carnations a les mêmes causes que celles que nous avions évoquées dans l’article consacré à Lluís Borrassà.

– l’ensemble des autres parties peintes est ébauché en trois tons à la tempera maigre comme l’a décrit Cennino Cennini, avec de la terre verte pour les vêtures blanches et claires, et de la terre d’Ombre pour les vêtures colorées et les éléments de décor. Le tout est ensuite modelé en couleurs à la tempera grasse puis glacé à la peinture à l’huile.

Remarque importante : à certains endroits, comme les ailes des anges et le velum surplombant la tête de la Vierge entre autres, des glacis de laque de garance à l’huile ont été posés sur la dorure, probablement pour simuler un effet d’émail. Ces glacis nous renseignent grandement sur le liant huileux utilisé par Boccati pour broyer ses pigments. La remarquable qualité de conservation de la pâte et du pigment, et la légèreté des glacis, indiquent tout-à-fait l’usage d’un vernice.

Ce n’est pas un vernice liquida qui se serait fortement obscurci et craquelé, ni un vernice chiara au mastic qui serait devenu très cassant.

Si l’on considère la difficulté de « faire durer » un pigment aussi fragile que la garance sur un fond aussi imperméable que la feuille d’or, sans aucune lourdeur de rendu et dans un tel état de conservation, je ne vois que le vernice chiara à l’olio d’abezzo, (huile de noix cuite avec la résine de sapin pectiné, cf. l’article sur le sujet). Pour confirmer cette opinion nous remarquerons également que les parties peintes au lappis-lazzuli sur fond de tempera ont conservé toute leur profondeur et n’ont elles aussi quasiment pas bougé.

En conclusion, mis à part l’affadissement classique des carnations à tempera à base de blanc d’argent et de vermillon, les altérations du tableau ne sont quasiment que des usures d’ordre mécanique (la dorure et les visages des deux saints de gauche). « La Vierge et l’Enfant » de Boccati illustre bien la perfection technique et l’amour du Métier d’une certaine École italienne de l’époque.

José Colombé

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