Article initialement publié le 3 février 2008 sur le site disparu Villanov’art
Nous savons le goût de Fragonard pour la peinture flamande du XVIIème siècle, goût qu’il partageait avec sa belle-soeur et collaboratrice Marguerite Gérard. Si cette dernière peignait dans la lignée de Ter Borch, d’une façon soignée et précieuse, quelquefois à la limite du plagiat, « Frago » préféra la manière enlevée de Rubens, et s’il alla plus loin que le Maestro dans la liberté de la touche, il en conserva l’essentiel du procédé (emploi des résines mis à part), comme on peut le voir dans La leçon de musique, La liseuse, La lettre d’amour, Le verrou et autres.
Le processus est très probablement le suivant :
Préparation du support : enduit à la céruse teinté de Sinope (ocre rouge naturelle) ou de terre de Sienne naturelle.
Mise en place : dessin à la craie repris au pinceau avec une terre (probablement de la terre d’Ombre), puis passage d’une imprimatura de Sinope broyée à l’huile grasse et allongée d’essence de térébenthine. Au XVIIIème siècle, on appelait huile grasse de l’huile de lin siccativée par une cuisson avec de la litharge.
Mise en peinture : en suiveur du procédé flamand XVIIème, Fragonard se sert de l’imprimatura de Sinope comme demi-ton. A partir de là, les ombrés les plus forts sont marqués tout simplement par des forçages locaux à la terre d’Ombre naturelle et brûlée quelquefois allongée d’azurite pour donner des sombres sans lourdeur. A ce stade nous n’avons qu’un camaïeu de terre inachevé, il ne reste alors qu’à appliquer localement les couleurs claires en touches hardies de demi pâte, avec de fermes pinceaux de soie de porc, puis poser les rehauts de lumière en pleine pâte. L’ensemble du travail est exécuté quasi « alla prima » avec détermination et souplesse, sans aucun repentir… La virtuosité du Maître avec une grande économie de moyens.
On remarquera qu’au moins le tiers de la surface du tableau (dos de fauteuil, clavecin, mandoline etc…) est constitué par l’imprimatura de Sinope intouchée. On fera le même constat pour « La liseuse » et autres.
Diluants employés : essence de térébenthine pure pour les dessous, huile grasse coupée d’essence pour la mise en pâte, puis huile grasse pure pour les rehauts. Il s’éloigne malheureusement, sur ce point, des Flamands en n’incorporant aucune résine à sa pâte.
Cette analyse est basée sur la « Leçon de musique » qui fut exposée à l’été 2007 au Musée Fesch d’Ajaccio (cf. l’article sur Marguerite Gérard et Jacques Sablet).
José Colombé